Brimade bis
Je reprends ici un article écrit sans doute en 2002. J’étais (plus) jeune et donc plus fougueux, certainement moins réfléchi; inconséquent même. Il est certain qu’aujourd’hui, j’écrirais les choses différemment.
D’une manière plus diplomatique, croyez-vous ?
Et bien non, d’une manière plus crue. C’est la diplomatie parfois, qui est inconséquente.
C’est que, chemin faisant, j’ai accumulé les anecdotes. J’ai ajouté à mon herbier humain un certain nombre de spécimens gratinés. Ils gigotent encore entre deux pages avec le secret espoir d’être oubliés, mais je les y tiens, bien serrés. Sortiront pas.
Fiers jusqu’à l’éclatement de leurs réparties cinglantes, ou plus discrets, blasés, laborantins miteux disséquant les souris à la chaîne, ils ont marqué des générations d’élèves, au fer rouge. Difficile donc, quand on marine un tant soit peu dans les questions pédagogiques, de ne jamais aborder le sujet.
Bas les pattes ! Je les vois venir. Alors coupons court aux finasseries. Je parle de brimade, donc d’autoritarisme pervers et non point d’autorité dosée. Il n’y a personne à l’horizon qui contesterait encore la légitimité de la seconde, lorsqu’il s’agit de réajuster le comportement d’un élève déconnant. Le débat est clos depuis belle lurette, depuis qu’on a dissout les barricades de 68. Mais je les vois venir quand même, jouant sur les mots, entretenant habilement la confusion.
Et c’est ainsi qu’elle passe le plus souvent, la brimade, comme une lettre à la poste. Elle est présentée par les tordus titulaires comme une nécessité pédagogique, un coup de pied au cul salutaire qui fait aller de l’avant. Comprenez, ils donnent de leur personne, c’est fatiguant de traîner son prochain dans la sciure, faut du bagout, faut donner de la voix ou du stylo. Ils se sacrifient pour l’avenir de notre belle jeunesse, en somme.
En réalité la brimade est adressée aux élèves inoffensifs, et quasiment jamais à ceux qui peuvent vous péter à la gueule. C’est une épreuve réservée aux agneaux.
Interrogez-vous sur le pourquoi de la chose, convoquez tous les psys de la terre, n’oubliez pas les anthropologues, les criminologues et les curés. Sadisme ordinaire, corporatisme revanchard, envie de rigoler ? Les avis divergeront sur ce satané pourquoi. Mais il y en aura sûrement pas un seul pour vous dire qu’il s’agit d’un outil éducatif raisonné.
Quant aux conséquences, nul ne les connaît, elles appartiennent à l’avenir. Mais je serais sur le cul que ce soit :
- une amélioration des rapports élèves-prof,
- un regain de motivation chez les élèves,
- la transmission de valeurs étiques.
C’est une agnelle, justement, une élève pacifique et sage qui m’a scanné les échantillons que vous verrez plus bas. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue, mais je parie que c’est plus intéressant que prof de math à l’Educ Nat.
Voilà, ce qui suit est une citation directe de l’ancien article.
Lettre au bourreau
Je commence par adresser un petit message personnel :
Cher collègue,
Je te tutoie, entre profs, on se tutoie, non ?
Cher collègue, toi qui es l’auteur de ces quelques joyaux, pardonne moi. Si, par hasard, tu passes par ici et reconnais scannée ton écriture d’artiste, tu vas m’en vouloir. Je le sais. Certes, je présente au public des fragments de ton travail, et ce, sans ta permission. Certes, je les présente comme des canons de mauvaiseté, d’agressivité gratuite et d’incompétence crasse. Certes, tu es le seul – comble de l’injustice ! – à nourrir cette page de tes calligraphies.
Voici cependant quelques affirmations destinées à modérer ta rancœur :
1) Je n’ai rien contre toi, je ne te connais pas, je suis même à deux doigts de te comprendre tant j’exècre la correction des copies scientifiques.
2) Je préserve ton anonymat. D’ailleurs, je ne connais pas ton nom. Je ne veux pas le connaître car tu es atrocement ordinaire pour ce qui nous occupe. Mais tant mieux ! … ta façon d’annoter les copies est assez représentative d’une certaine engeance magistrale.
3) Ce que tu éprouves est loin d’être le dixième de la désespérance que tu as dû semer, de copie en copie, depuis le début de ta carrière, en adressant ce genre de délicatesse à des élèves déjà chargés d’une note parcimonieuse.
4) Peut-être, en dépit de la sécurité de l’emploi qui t’anesthésie, vas-tu te mettre à penser à toi, à ce que tu es, à ce que tu fais, et ce avec ce brin d’esprit critique que l’on n’exige pas aux concours de recrutement.
En vérité, cela m’étonnerait. Il est coutume, chez tes semblables, de prendre les fruits de l’aigreur pour de salutaires fermetés. Vous vous sentez nantis d’un professionnalisme inné, un don en somme, destiné à sortir de sa torpeur bovine, une jeunesse inconsciente de la chance qu’elle a de pouvoir écouter. Alors…
Je m’attends à ce que tu continues, ad retraitum, à prendre ta vessie pour une lanterne, en pissant ça et là les aphorismes savoureux qui te valent mes hommages, et cela, tout en pensant éclairer l’humanité.
Je t’adresse néanmoins une dernière suggestion: munie-toi d’un crayon Véléda (effaçable) et si le cœur t’en dit, macule ton écran de PC et cette page impie de ta prose vengeresse. Je vais même sauter deux ou trois lignes, pour te laisser la place d’inscrire un énorme « LAMENTABLE !!! » … tu pourras même le souligner trois fois. En attendant, reçois comme annoncé, mes hommages les plus chaleureux.
1
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Cordialement,
Nicolas Guionnet
Lettre à la victime
… j’ajoute un deuxième message personnel, c’est le dernier, promis…
Cher élève,
Je te tutoie, c’est normal, t’es encore qu’un(e) gamin(e).
Je ne suis pas Robin des Bois. Je ne prends pas ta défense. J’en suis bien incapable. D’ailleurs, si j’en croie mon compteur de visite, il n’y a que moi et mes gnomes à visiter ce site. Ces facéties ne vont donc pas changer le monde, mais…
J’espère au moins t’avoir fait marrer un peu. C’est déjà ça de pris… et ….
Merci d’avoir scanné tes copies.
Respectueusement,
Nicolas Guionnet
Échantillons commentés
Bon, passons aux choses sérieuses:
Commençons par deux petits ahurissants. Leur similitude suggère ce que la démarche peut avoir de systématique.
Un bon gros mauvais départ, au cas où l’élève qui a pris 6 prendrait cela pour un bon départ. Souligner trois fois est tout aussi indispensable, on applique ici les principes de la sécurité routière: faut que ça flashe pour être bien vu.
L’emploi du mot faute me semble significatif: il est chargé de fortes connotations morales. Est-il sensé engendrer de la culpabilité ? … une énorme culpabilité. Je me demande parfois si l’école est aussi laïque qu’on nous le dit, tant les thèmes de la faute, de l’expiation y sont présents.
Je précise que l’élève n’est coupable que d’une erreur de calcul, et pas du génocide arménien…
Ces trois petits épouvantables ont un petit quelque chose de mignon, surtout accompagnés de ce « niveau 4ème » destiné à rappeler à l’élève (de terminale) à quel point il est mauvais… Trois petits épouvantables destinés à épouvanter un élève et qui n’ont engendré en lui (j’en suis témoin) qu’un ample haussement d’épaule…
« Il n’y a rien à faire alors ! Vous savez tout ! … Par magie ! » … hanhanhanhan !!
… et oui, c’est tellement drôle un élève qui se plante, hein !?
Rédiger correctement une démonstration est un exercice très difficile, même pour un terminale S. L’emploi des bonnes conjonctions de coordination, des bonnes justifications est très délicat. Cela n’empêche pas notre ami(e) de tailler en pièce de son ironie ravageuse un malheureux potache qui s’est emmêlé les pinceaux dans sa rédaction.
Eh collègue, t’avoueras, tu mérites bien que je me paye un peu ta tronche, parce que tu ne sembles pas hésiter un instant à en faire autant avec ceux que tu tiens par la peau des fesses, je veux dire ces jeunes que tu domines par la menace de tes notes et de tes appréciations…
Ce qui me fait le plus peur, c’est qu’un jour, si je te croise dans une salle des profs, vu qu’à l’instant je ne te connais pas, je risque de ne pas te reconnaître et de me mettre à causer avec toi et même (!) de te trouver sympa… parce que dans la vie, tu l’es probablement.
C’est une des raisons qui fait que je ne fréquente que rarement les salles des profs…