Le système scolaire français n’est pas le pire, loin de là. Des millions de gens ont appris à lire et à compter grâce à lui. J’en fais partie. Je sais ce que je lui dois. Cela dit, la reconnaissance n’exclut ni la lucidité, ni la franchise.
De mon brin de lucidité et de toute ma franchise, j’ai tiré ces quelques lignes, en espérant qu’elles suffisent à donner une idée des raisons de mon départ de la sainte famille Éducation Nationale. Puissent-elles aussi, en toute brièveté, pousser les « passants honnêtes » à s’interroger sur le devenir de leurs contributions fiscales et de leur progéniture. Puissent-elles enfin traduire la nécessité, pour un enseignant particulier, d’être indépendant et critique, vis à vis du système.
Mes amis m’ont cependant prévenu :
« Tu fais un site commercial. Tu ne dois pas casser du sucre sur le dos de qui que ce soit, cela ne se fait pas… tu dois rester positif… sinon, tu vas effrayer certains parents… »
Seulement voilà, je ne pense pas que ce site, ni que ma démarche soient uniquement commerciaux. Pour travailler de façon aussi intègre et sereine que possible, je dois y voir clair et dois aussi aider ceux qui collaborent avec moi (parents, élèves) à y voir clair.
Or, il se trouve que mon activité est intimement liée avec ce qui se passe à l’Éducation Nationale. Je dois aider mes élèves à s’adapter à ce système et à en tirer le maximum (un diplôme bien sûr mais aussi une maturité, un équilibre.) Ceci est beaucoup plus important que de faire preuve d’une stricte et absolue diplomatie avec les personnels enseignants et avec ceux qui les dirigent.
Je vais donc étaler en vrac quelques remarques concernant le système scolaire français du secondaire, cela de façon succincte, sans argumentation développée et sans tenter d’être exhaustif.
Je me cantonne au secondaire car c’est ce que je connais. Le primaire n’est qu’un souvenir d’enfance. Et le supérieur, une autre histoire. Je me focalise sur les matières scientifiques, pour les mêmes raisons.
Pour ordonner et argumenter tout cela, il faudrait écrire un livre et je crois que c’est tout à fait inutile. La situation me semble verrouillée. A quoi bon ? De plus, la brièveté est parfois une qualité.
C’est vrai. Je suis parfois un rien caricatural. La nuance étire les discours, elle les dissout, et rend leur consommation fastidieuse. Je fais le pari que mon lecteur est doté d’un sens critique qui lui permettra d’examiner mes affirmations avec prudence. Enfin …
« Je me tais et je commence : » (Richard Desjardin / Lommer)
Monopole
L’éducation nationale possède à peu de choses près le monopole de l’enseignement, notamment du secondaire. Ses membres ont la sécurité de l’emploi. C’est la seule structure que je connaisse qui n’est évaluée par personne, sinon par elle-même, avec ses critères internes. C’est la seule qui est capable de mettre une heure de colle à un client insatisfait en lui rappelant qu’elle a tout pouvoir sur son orientation et donc son avenir professionnel.
Quelles sont les chances qu’une institution aussi confortablement installée, soit encore au service de sa clientèle ?
(Je rappelle à tout hasard que l’éducation nationale n’est pas une association de bénévoles idéalistes. Nous la finançons.)
Programmes
En vrac …
Pas de cours donnant une véritable expérience de la communication orale.
Pas de cours donnant une véritable expérience de la gestion de projet et de la coopération.
Pas de cours sur les techniques de mémorisation (Les élèves ne savent pas utiliser leur mémoire.)
Pas de cours d’informatique dignes de ce nom.
…pour ne citer que quelques exemples.
Recrutement
On vous demande de passer une épreuve écrite. Soit. On vous fait passer une épreuve orale qui consiste à balancer une leçon au tableau et à répondre aux questions du jury. Ces questions concernent la leçon, c’est en gros une épreuve de cours magistral. La plupart des candidats sont préparés à cela dans des classes spécialisées. Soit.
Mais, à aucun moment le profile psychologique du candidat n’est sérieusement évalué, ni son aptitude à établir un contact avec des jeunes. Je rappelle que des épreuves de recrutement pertinentes sont en places dans des tas de structures, pas seulement dans le privé.
A l’EducNat, on se contente de »sortir » les candidats les plus déséquilibrés au niveau de l’IUFM (Institut de Formation des Maîtres.)
Mais combien de personnes sont-elles titularisées en ayant un profile incompatible avec les réalités du métier ?
Le nombre de congés maladie pour dépression est-il uniquement dû à la dureté de l’existence sur cette petite planète ? … ou à la dureté des conditions de travail ?
(Pour ma part j’ai bossé en ZEP sans toucher au Lexomil, et j’ai rencontré dans ces établissements des enseignants d’envergure capable de gérer et de s’imposer.)
Cours Magistral
Le cours magistral est encore pratiqué majoritairement par les enseignants du Lycée. Pour beaucoup, surtout en matières scientifiques, cela consiste à recopier au tableau le contenu d’un manuel, très légèrement modifié. Les élèves doivent le prendre en note texto. Ils n’ont souvent pas le temps de comprendre ce qu’ils recopient. Le résultat ? Beaucoup d’entre eux décrochent.
Je ne devrais sans doute pas me plaindre, c’est souvent uniquement grâce à cela que j’ai des clients. Mais…
La présence des enseignants se justifie par leur aptitude à dialoguer, à être interactif. Depuis l’invention de l’imprimerie, personne n’a plus besoin de moines copistes.
A l’âge où apprendre à communiquer, collaborer, apprendre l’autonomie, est essentiel, pourquoi demande-t-on aux gamins de rester assis, de se taire, et de copier ce qui est écrit au tableau ?
Est-ce parce qu’une séance de cours magistral demande au prof moins de créativité, de réactivité ? Faire écrire les élèves est aussi une façon d’avoir la paix, de les neutraliser. N’est ce pas ?
Manifestations
Dans le brouhaha des manifs, quel genre de revendication entend-t-on ?
– l’abandon des archaïsmes dans les programmes au profit de nouveautés pertinentes,
– la refonte des emplois du temps des élèves pour éviter les aberrations
… ou tout autre véritable réforme.
Ces revendications doivent être chuchotées en fin de cortège, car je ne les ai jamais entendues.
En dépit de tous ces paradoxes et archaïsmes du système, les personnels se battent-ils pour que les choses évoluent ?
Quand les enseignants sont dans la rue, ils réclament des « moyens » ?
Je traduis: des « moyens », à peu de choses prés, ce sont des emplois garantis jusqu’à la retraite, ou un accroissement des effectifs du personnel. Peut-être est-ce aussi un accroissement des salaires…
C’est à mon sens ce qui fait que la position des enseignants manifestants et syndiqués est assez critiquable. (Restons poli.)
Respect ?
L’enseignant est un communiquant, pas un dictateur. Sa rancoeur, son aigreur, ne doivent pas s’exprimer au hasard de son humeur ou de ses détresses. De plus, aujourd’hui plus que jamais, le respect ne s’exige plus. Il s’inspire.
Je ne crois pas que faire les gros yeux à des gens de 17 ans change leur comportement. Les humilier publiquement ou sur les copies ne les remotive pas. Cela ne fait que détériorer la situation en inspirant un sentiment d’injustice et un dégoût global pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à un lycée.
Pour convaincre, il faut d’abord être crédible soi-même, et cela implique d’être juste, et notamment de dire ce qui doit être dit avec Fermeté et Respect (et je le souligne pour éviter que ce paragraphe soit pris pour une apologie du laxisme…)
Seulement voilà, il semble que pour de nombreux enseignants, austérité et efficacité soient des synonymes, ainsi qu’autorité et agressivité. Ceci tient de la tradition Education Nationale, et cette tradition ne s’applique pas qu’aux élèves « difficiles » …
Faute d’être crédibles et convaincants, les intervenants ne sont pas rares, du pion au proviseur, qui croient sauver les apparences en se changeant en pères fouettards indignés. Ceux-là tentent de faire ramper un troupeau sous la menace, sous les reproches, alors qu’un peu de talent, de créativité et d’enthousiasme l’auraient fait galoper. Pauvres et tristes sires…
Je donne ici quelques échantillons d’annotations de copies révélant un état d’esprit peu compatible avec la fonction de communiquant.
Echantillons
Cloisonnement Artificiel des Matières
Croyez-en mon expérience : Les enseignants du secondaire ne sont que peu enclins à la coopération et à la gestion collective de projet.
Par exemple, la déconnexion entre le prof de math et celui de physique, m’oblige régulièrement à présenter des notions mathématiques à un élève perdu, après qu’elles aient été employées dans le cours de physique comme si elles allaient de soi.
Pourquoi, lorsqu’il fut proposé aux profs d’être formés pour être polyvalents (par exemple enseigner la physique quand on a une formation mathématique, ce qui est élémentaire au niveau lycée), les syndicats enseignants s’y sont-ils opposés, en fournissant des arguments RIDICULES ?
N’est ce pas afin que leurs protégés (les profs qui les paient !) n’aient pas à se remuer le fondement ?
Basta
Mais sans doute vaut-il mieux interrompre l’énumération, je sens que je m’enflamme.
Il est de ces après-midi d’hiver où, méditatif et morose, j’arrive à penser que collège et lycée sont conçus pour offrir gîte et couverts aux personnels enseignants, et non pour préparer les jeunes gens qui les traversent, à vivre, s’épanouir et travailler. J’arrive à penser que les syndicats enseignants sont devenus lobbys, prêts à toutes les mauvaises fois pour défendre le confort de ceux qui les paient.
J’arrive à penser que les profs vivent un délire collectif totalement déconnecté du monde extérieur. Dans ce délire, un rien paranoïaque, ils sont l’objet de complots ministériels, d’animosités parentales et d’irrévérences juvéniles. Ils sont victimes, rien de plus. Il initient au plus tôt les nouveaux venus à cette vision des choses et sont hostiles à ceux, dont je suis, qui la contestent.
Ils sont perclus d’indignations réflexes, et c’est avec elles qu’ils accueillent toute proposition de réforme.
Jamais ne les effleure l’idée que leurs difficultés sont les conséquences de leurs comportements collectifs.
… et c’est sans doute la seule phrase qu’il faudrait garder de tout ce fatras.
J’aurais pu dire aussi, « en nous bougeant les fesses, les gars, on pourrait améliorer l’ambiance et la productivité (!), et chacun serait gagnant… » mais ça c’est de l’utopie, il semble que les fesses se soient alourdies, elles ne revendiquent plus qu’un siège en cuir capitonné. Et elles l’obtiennent et y prospèrent…
Oui, il est de ces après-midi d’hiver où, méditatif et morose, j’arrive à penser ainsi. Espérons que l’arrivée du printemps me rappelle l’existence d’enseignants intègres et talentueux qui bien que minoritaires m’aidèrent à faire passer la pilule du secondaire… …courage…